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rêves (2)


    Il faut traverser le tunnel sous la terre,
    inaccessible par l’action :

    cherche le Roi et tu trouveras le passage ;
    trouve l’Enfant, il te l’ouvrira.

    Dans la forêt compacte sous un ciel nu de lune, je marche vers la montagne aux ancêtres. Des milliers de voix m’appellent, comme ils nous appellent tous,
    seulement faut-il oser les entendre.

    Arrivée à son pied, je pense aux siens
    et m’endors dans le corps d’un chien
    pour me réveiller près du trône d’Ivan IV
    sans la peur ni du bâton ni de la voix
    qui pleure en parlant.

    alors que mes yeux se posent sur la pierre des murs,
    des planchers et du plafond

    j’entends un rire au loin qui me mène à chercher
    la source de douceur qui manque au château
    qui a été mangée par l’angoisse et la trahison
    de ceux qui en veulent trop.

    En chien heureux, je me déplace librement dans l’autre pièce où je ressens la chaleur de pas emplis de bonté

    et je sais instantanément que j’aime mon Maître.

    Sa main se rapproche de mon visage
    et à travers le silence en ses yeux je distingue ceux de l’Enfant

    pour qui je plonge
    chaque nuit dans la Faille inconnue,
    infinie.

    C’est alors qu’une porte de bois derrière nous s’ouvre,
    que le Maître me la pointe et que ceci suffit
    à ce que je m’y rende

    dans le corps d’un soldat et je la traverse sans goutte d’hésitation.

    Il fait noir, mon nez est plein d’une odeur de terre
    l’air est humide le ciel est absent :

    au bout du sous-terrain existe
    la nuit qui mènera en son temps à la lumière.

    Une fine étincelle, vive, me guide au milieu de l’Absence
    et j’atteins une ouverture qui se moule à mon corps
    pour me laisser sortir ou entrer,

    dans la forêt nue de lune

    où aux pieds d’un arbre un homme me dit en russe :
    à ton tour de garder la frontière.

    *

    Aux fonds de la terre, les racines de la vie
    nourrissent en silence la surface fleurie
    qui s’abreuve du ciel, qui lui demande sa pluie.

    Je suis la fleur qui se repose la nuit lorsque dort mon Maître
    et qui s’ouvre avec ses yeux lorsque naît le jour
    pour le faire sourire, si je peux
    je veux
    le voir sourire.

    *


    Une à une, les femmes entrent dans les égouts
    sans la honte de salir leurs habits soyeux
    alors que leur descente n’altère en rien l’élégance
    de leurs mouvements puissants.

    Elles portent des torches d’une lumière
    tantôt bleue tantôt rouge

    alors que l’une d’elle dirige le bateau
    par des mouvements dansants des mains
    qu’elle propulse dans toutes les directions
    dans un contrôle et un calme impressionnants.

    Elles me disent que la traversée sera longue
    et que plusieurs d’entre nous mourront
    que nous légueront à nos enfants
    une marque invisible du passage des générations :

    notre force s’inscrira en leur coeur.

    Je n’ai pas peur, je sais qu’elles ont raison.