Il faut traverser le tunnel sous la terre,
inaccessible par l’action :
cherche le Roi et tu trouveras le passage ;
trouve l’Enfant, il te l’ouvrira.
Dans la forêt compacte sous un ciel nu de lune, je marche vers la montagne aux ancêtres. Des milliers de voix m’appellent, comme ils nous appellent tous,
seulement faut-il oser les entendre.
Arrivée à son pied, je pense aux siens
et m’endors dans le corps d’un chien
pour me réveiller près du trône d’Ivan IV
sans la peur ni du bâton ni de la voix
qui pleure en parlant.
alors que mes yeux se posent sur la pierre des murs,
des planchers et du plafond
j’entends un rire au loin qui me mène à chercher
la source de douceur qui manque au château
qui a été mangée par l’angoisse et la trahison
de ceux qui en veulent trop.
En chien heureux, je me déplace librement dans l’autre pièce où je ressens la chaleur de pas emplis de bonté
et je sais instantanément que j’aime mon Maître.
Sa main se rapproche de mon visage
et à travers le silence en ses yeux je distingue ceux de l’Enfant
pour qui je plonge
chaque nuit dans la Faille inconnue,
infinie.
C’est alors qu’une porte de bois derrière nous s’ouvre,
que le Maître me la pointe et que ceci suffit
à ce que je m’y rende
dans le corps d’un soldat et je la traverse sans goutte d’hésitation.
Il fait noir, mon nez est plein d’une odeur de terre
l’air est humide le ciel est absent :
au bout du sous-terrain existe
la nuit qui mènera en son temps à la lumière.
Une fine étincelle, vive, me guide au milieu de l’Absence
et j’atteins une ouverture qui se moule à mon corps
pour me laisser sortir ou entrer,
dans la forêt nue de lune
où aux pieds d’un arbre un homme me dit en russe :
à ton tour de garder la frontière.
*
Aux fonds de la terre, les racines de la vie
nourrissent en silence la surface fleurie
qui s’abreuve du ciel, qui lui demande sa pluie.
Je suis la fleur qui se repose la nuit lorsque dort mon Maître
et qui s’ouvre avec ses yeux lorsque naît le jour
pour le faire sourire, si je peux
je veux
le voir sourire.
*
Une à une, les femmes entrent dans les égouts
sans la honte de salir leurs habits soyeux
alors que leur descente n’altère en rien l’élégance
de leurs mouvements puissants.
Elles portent des torches d’une lumière
tantôt bleue tantôt rouge
alors que l’une d’elle dirige le bateau
par des mouvements dansants des mains
qu’elle propulse dans toutes les directions
dans un contrôle et un calme impressionnants.
Elles me disent que la traversée sera longue
et que plusieurs d’entre nous mourront
que nous légueront à nos enfants
une marque invisible du passage des générations :
notre force s’inscrira en leur coeur.
Je n’ai pas peur, je sais qu’elles ont raison.