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rêve ∞ Les aspirateurs d’âme


    Nous arrivions par un bâtiment blanc qu’il fallait traverser en voiture avant de s’enfoncer dans la forêt.

    La forêt, la même que la dernière fois, avec ses deux petites maisons habitées par deux versions de moi.

    L’une, méfiante, coupe du bois par des coups précis, puissants. Elle semble vouloir m’avertir, par son regard noir, qu’il fait sombre par ici.

    L’autre chantonne, joyeuse, elle attend qu’il arrive.

    Nous passons au travers de leurs terrains, soudainement installés dans la maison de vacances.

    Elle est moderne, et baigne dans une ville comprimée l’enveloppant, elle, strictement.

    La forêt nous entoure, je la sens partout, ce qui ne m’empêche pas de parcourir des dizaines de kilomètres d’un quartier embourgeoisé.

    J’y cueille des feuilles rouges sous un ciel orageux, observant le vacillement des lumières de rues.

    “Il faut garder un souvenir de la ville”, pensai-je, alors que je me sens lentement engloutie par l’oeil immense qui me regarde, bienveillante surveillance.


    C’est maintenant la nuit, je suis tirée de mon sommeil par trois personnages. Ils dansent autour de moi, et rient d’une façon me laissant comprendre que je suis leur proie.

    Le plus petit est timide et traîne avec lui une petite poupée que je confonds avec un enfant.

    Les deux autres se bousculent, tentent d’établir entre eux une hiérarchie : à qui sera la première âme aspirée?

    Je n’ai pas peur, d’une certaine façon, je sais que je suis dans un rêve.

    Le petit s’approche, me dit doucement qu’ils sont là pour manger les âmes noires.

    Je vois défiler des fantômes de mon passé, grotesques, qui se débattent dans l’horreur d’être avalés.

    L’un d’eux se fait happer, les deux dominants reprennent leur danse hystérique, et tirent de lui une essence rouge qui incendie d’un coup toute la pièce.

    Les autres crient sous les flammes, ils n’ont épargné ni les vivants ni les morts dans leur purge.

    J’arrive à fuir vers la forêt, qui se dégarnit comme pour me laisser passer.

    Mes mouvements sont vains, je le sais.

    Les créatures me retrouvent, tentent de marchander : “Si tu nous donnes de la haine, nous pourrons t’emmener à lui.”

    “Je n’en ai pas.”

    À peine la pensée formulée, il apparaît dans une capsule de métal guidée par la pensée. J’embarque près de lui, au calme.

    Les deux frères se regardent, confus, se transforment en une seule personne longue et élégante, à chapeau haut de forme et monocle, et lui disent :

    “Passons un marché – nous te donnons le Canada, à toi et ses habitants le méritant. Il sera protégé à jamais des Éboueurs, notre famille qui agit la Nuit.

    En échange, nous prenons le reste de l’humanité.”

    Je le regarde fixement, espérant qu’il entend ma pensée qu’aucun marché avec le diable ne peut être gagnant.

    Nous disparaissons, dans un faisceau d’une matière indicible, proche d’une lumière mate.

    J’ouvre les yeux et me réveille, dans la forêt aux deux maisons, au bord de la route.

    Le chemin est à reprendre.

    “Pas cette fois-ci. Je veux me réveiller.”

    “Déjà? mais tu n’es pas encore allée au bout de la forêt… ”